Ça n’a pas pu vous échapper. Ces derniers mois, l’une de nos poupées préférées est sortie de son placard et a fait son apparition sur grand écran. L’iconique Barbie a troqué la poussière contre l’engagement, et pour ça, on dit merci Mattel.
Alors, stratégie gagnante ou problématique pour redorer le blason de la bimbo aux pieds courbés ?
Le monde de Barbie, royaume du marketing
Barbie chez Burger King, Barbie Dream House sur Airbnb, Barbie collection pour Zara, Crocs ou encore Primark… Barbie partout. Barbie tout le temps. La poupée ne nous quitte plus, et aussi souriante soit-elle, elle commence à nous sortir par les yeux. (Même si on ne dirait pas non pour passer une nuit dans son Airbnb.)
En réalité, tout ça n’est que la partie immergée de l’iceberg. On se permet donc de passer ce qui relève désormais de formalités à son sujet : oui, le budget marketing à 150 millions de dollars a bel et bien payé.
Et pour ceux au fond de la salle, ces chiffres ne sortent pas de nulle part. C’est Mattel, la maison mère de Barbie qui a commandé le film auprès de la réalisatrice Greta Gerwig. Vous savez, ce gros logo rouge qui introduit le film comme s’il en était le personnage principal ?
En clair, c’est un film de marque. Et c’est justement là que ça devient intéressant. Exit les placements de produits qui n’avaient, bien souvent, rien à faire au milieu de nos scènes préférées. Avec Barbie, la publicité entre dans une nouvelle ère et le brand content passe au niveau supérieur.
Parce que la relation entre les marques et le public a changé, leur stratégie instaure désormais une certaine proximité. Elles nous engagent alors émotionnellement, dans des spots publicitaires de 30 secondes, puis dans des films de 2 heures.
Si jusqu’ici, on pouvait rester frileux à l’idée de voir nos marques préférées s’incarner sur grand écran, Barbie a su déployer un véritable univers. Et on a envie de dire heureusement, vu son âge. En 64 ans, elle a déjà eu le temps de marquer les esprits… La nostalgie a fait son effet, ni plus ni moins. Pour autant, elle n’a pas pris une seule ride (quoi qu’un peu de cellulite, pour ceux qui savent.)
Si ça fonctionne si bien, c’est parce que Barbie nous a pleinement immergés dans son monde. Ou elle s’est immiscée dans le nôtre… Au point que Margot Robbie devienne Barbie elle-même sur tous les tapis rouges. Et nous, on est plus d’un à avoir rêvé d’un aller sans retour pour Barbieland. Et ce, quoi qu’il en coûte… la trend Tiktok #BarbieFoot en est la preuve.
En clair, la marque nous a ouvert grands les portes de son univers, et on y a (presque) tous plongé la tête la première. Peut-être car, de nos yeux d’enfants, il nous a semblé plus réel que jamais. Alors on s’est mis à l’incarner nous-même, grâce à des actions marketing comme le Selfie Generator, une activation qui permet à chacun d’endosser le rôle de Barbie.
Life in plastic, it’s fantastic
La viralité de chacune des opérations Barbie a donc démontré que l’ampleur de la campagne était bien plus qu’accessoire. Les petites filles d’antan se sont à nouveau réunies pour vivre l’aventure Barbie et cette fois, grandeur nature.
Le film a déclenché une véritable Barbie Fever, rassemblant une communauté tout de rose vêtue sous le signe de l’ouverture d’esprit. Oui, parce que Barbie est une femme libre, drôle et indépendante. Elle a des valeurs auxquelles on a envie d’adhérer haut et fort. En bref, c’est une icône féministe, n’en déplaise à ses détracteurs.
Mais comment a-t-elle redoré son image après avoir longtemps perpétué le culte de la beauté toxique ?
Rien de plus simple, elle s’est adaptée aux évolutions sociétales.
Et si on n’était pas encore totalement convaincus jusqu’à-là, le film de Greta Gerwig semblerait avoir changé la donne. La marque n’hésite pas à poser un regard critique sur ses choix passés, en adressant de véritables problématiques sociétales. Et tout ça, sous le signe de l’auto-dérision.
Et dans cette configuration, il semblerait que ce ne soit plus tant le public qui adopte les valeurs de Barbie. C’est Barbie elle-même qui reflète les combats de toute une génération. Par les codes utilisés, le film atteint parfaitement la cible recherchée. Pas les petites filles d’aujourd’hui, non. Celles qui sont désormais des adultes accomplies, mais aussi incomprises par le patriarcat.
Voilà comment une campagne de brand content bien menée peut devenir un véritable phénomène culturel. Et sa force dans l’imaginaire collectif est telle, qu’une couleur suffit à rendre la marque reconnaissable.
Un détail qui, lui aussi, a contribué à faire parler du phénomène Barbie sur les réseaux. Grâce à son caractère clairement identifiable, il continue de créer la conversation.
Or, selon Pierre William Fregonese, docteur en science politique de l'Université Panthéon-Assas, le rose est profondément lié à l’artificialité. La figure du rose serait donc un mécanisme qui conserve potentiellement les stéréotypes associés à Barbie dans nos esprits sans même que l’on s’en rende compte.
Une vie pas si rose ?
Lorsqu’on sort la tête de cette jolie bulle fushia, on peut donc tout de même se questionner sur l’authenticité de cette satire. De l’ironie à outrance et de l’auto-dérision certes… mais, finalement, l’héroïne incarnée par Margot Robbie ne reste-t-elle pas le stéréotype de la féminité occidentale ?
On ne la changera pas, Barbie reste une poupée aux proportions irréalistes et hyper-sexualisée dans un monde où l’homosexualité n’existe visiblement pas.
Faut-il donc la condamner à tout jamais ?
La réponse sonne comme une évidence. Heureusement, on nous précise dans l’oreillette que tous les malheurs du monde n’auraient, quoi qu’il en soit, pas pu être sauvés par une poupée, ni par un film. Et Greta Gerwig en étaient bien consciente. Dès l’ouverture du film, la narratrice annonce la couleur : « Grâce à Barbie, tous les problèmes de féminisme et d'égalité des droits avaient été résolus ! Ou en tout cas, c'est ce qu'on pensait à Barbieland. »
Alors en attendant le jour où le vrai monde aura adopté la constitution de Barbieland, la poupée continue de se réinventer pour avancer avec son temps.
En revanche, est-ce vraiment louable de la part de Mattel de soulever des luttes aussi importantes à des fins commerciales ?
Après tout, c’est le propre d’un film de marque, non ?
Alors, faire porter des valeurs à l’incarnation de Barbie, oui. Surtout quand ce sont des sujets au cœur de son identité. Or, pour conserver une image de marque glorieuse, il vaudrait mieux s’assurer qu’il n’y ai plus d’ambiguïté entre engagement et social washing.
Et ce n’est pas en annonçant la préparation de 45 nouveaux films de marque pour d’autres de ses jouets que Mattel semble pencher du bon côté…
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