Il paraît qu’on ne lâche plus nos écrans. Peut-être parce qu’elle en profite pour montrer le fruit de sa dernière passion. Aquafitness, peinture à numéros, triple marathon voire même ascension de l’Everest… Comment la productivité a infiltré notre temps libre ?
Vous reprendrez bien un peu de personnalité ?
Dans les transports comme dans les salles d’attente, notre activité préférée n’a pas l’air aussi créative. Selon une étude IPSOS pour le CNL « Les Français et la lecture en 2023 », 77% des Français vont sur Internet pendant leur temps libre. Soit, en moyenne, pendant 3h14 par jour. Et quand il leur en reste un peu, soit pas beaucoup, ils trouvent un vrai hobby.
Sur TikTok, il y en a pour tous les goûts. Quel que soit le niveau de farfelu de l’activité, on observe toujours une cohorte de passionnés. Parce que choisir une activité aussi niche que le puzzle ou le cerf-volant, c’est aussi embrasser une communauté. Chacun pratique dans son coin, puis, on se rejoint sur TikTok pour montrer nos derniers accomplissements.
Contrairement aux poètes maudits du XIXème, on ose montrer le fruit de son “travail” pour se faire connaître. Aussi parce que la passion possède désormais une place à part entière dans notre quotidien. Face à la perte de sens qui rythme la vie professionnelle de nombreux salariés, on tente de retrouver un équilibre avec sa vie personnelle. Et après nos études, si la vie de famille ne fait pas encore partie de nos priorités, ce qui n’était qu’un passe-temps tend à devenir une activité à plein temps. Quitte à délaisser notre métier.
Et tant qu’on ne se retrouve pas en compétition 24h face à un tas de pièces désordonnées, on ne peut imaginer ô combien le puzzle, c’est du sérieux.
Passion productivité
Rappelons-le, à l’origine, un hobby sert simplement à passer le temps et éventuellement, à se détendre. Mais quand ça devient aussi sérieux, on finit par douter de la propriété relaxante de l’activité. Heureusement le coloriage de mandala ne s’est pas encore professionnalisé.
Ceux qui escaladent ne voient plus que par leurs prises (et ils sont de plus en plus nombreux). Ceux qui lisent ne voient plus que par leur PAL. Ceux qui font de la céramique ne voient plus que par la fraîcheur de l’argile. Comme si notre hobby, ce petit plus qui aide à décompresser après une journée de travail, devenait notre identité.
On construit alors notre image digitale, voire notre future carrière, sur des édits de nos jolis petits accomplissements, par plaisir inconscient ou par recherche de validation. Encore une nouvelle occasion de romantiser sa vie... Ce qui était à l’origine un passe-temps devient alors le successeur de ce qui, jadis, donnait du sens à notre vie ; le travail. Pas si romantique, finalement.
Publié par @nana0upsVoir dans Threads
Et, naturellement, le travail implique des contraintes : course à la productivité, temps réduit, exigences et pression. Plus le droit aux expérimentations, aux petits plaisirs qui mènent parfois à des erreurs. Le sérieux emporte avec lui la liberté créatrice, cette bouffée d’air frais qui faisait justement du hobby une activité pour se vider la tête.
Et à ce point, on se demande : Toute passion peut-elle vraiment devenir un travail ?
Et le vrai temps libre dans tout ça ?
Entre deux sessions d’Everesting (oui, c’est un vrai sport), un pull en crochet et quelques ateliers de sculpture sur savon, a-t-on encore le temps de respirer ?
Le jour de ton trentième anniversaire y'a un mec qui arrive comme dans pokémon et qui t'oblige à choisir entre faire du marathon de l'escalade ou un podcast https://t.co/JxR15fpagc
— lubber (@lubber204) April 21, 2024
Si le besoin constant d’être diverti s’inscrit dans la dynamique du toujours plus vite que l’on connaît, elle ne s’arrête pas à la consommation. Une fois que l’on entre dans la vie active, on cherche à remettre du sens dans nos actions. Et tant qu’à se remettre en marche après le travail, autant que ce soit divertissant.
En clair, on ne supporte plus de s’ennuyer. Devant nos écrans, mais aussi dans la vie en général, on multiplie les tâches pour éviter le doux bruit du silence. Sylvie Chokron, neuropsychologue et directrice de recherches au CNRS, affirme même que l’on est atteint d’"une forme d'intolérance à l'ennui". Et c’est manifestement ce qui nous pousse à nous engager dans de plus en plus de projets, aussi originaux soient-ils. Quid de ceux qui n’ont pas de passion ?
Pendant que certains préparent leur seizième marathon, d’autres n’ont pas encore trouvé ce qui les anime. Ou ils n’ont pas honte d’avoir la flemme. Parce que, en même temps, qui a dit qu’avoir une passion était une obligation ? À l’origine, avoir un hobby était un moyen de se reconnecter à l’essentiel, loin de la pression quotidienne. Or, la passion a elle-même été amputée de la pression. À tel point qu’elle est devenue une injonction à l’expérience. Après avoir fait son tour du monde, pas question de regarder le plafond.
Alors comment on fait pour se vider la tête, si on ne cesse de la remplir ?
Nous stalker