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Faut-il oublier la ponctuation pour être cool ?

Temps de lecture : 6 minutes

01/02/2024

Comme on reconnaît nos parents au bruit de leurs chaussons dans le couloir, on reconnaîtrait entre mille les messages de notre grand-mère. Parce qu’on a établi nos propres règles orthographiques, et que mettre un point à la fin de ses phrases, ce n’est plus à la mode.

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Content Strategist. 30 onglets ouverts dans la tête et un assistant à moustaches sur les genoux.

Laury Peyssonnerie

Comme on reconnaît nos parents au bruit de leurs chaussons dans le couloir, on reconnaîtrait entre mille les messages de notre grand-mère. Parce qu’on a établi nos propres règles orthographiques, et que mettre un point à la fin de ses phrases, ce n’est plus à la mode.

Or, de toutes nos utilisations, il n’est pas toujours simple d’interpréter l’intention des Digital Natives. Modifier la ponctuation en ligne, serait-ce devenu le nouveau credo des cool kids ?

Génération cabine téléphonique

À l’origine des SMS, on était bien loin de l’époque Tinder, et de son option Passeport. On voulait surtout communiquer avec nos proches ; se donner des nouvelles sans attendre le courrier de la semaine. Sans surprise, les membres de la famille étaient les premiers ajoutés dans le répertoire du 3310. Puis, quand les téléphones à antenne ont été remplacés par les smartphones, les conversations avec les parents ont dressé le tableau d’un grand décalage générationnel.

Utilisation intempestive d’émojis et de points finaux, “Ok” à toute épreuve… une froideur glaciale qui, selon nous, ne représente pas tout à fait la réalité d’une conversation orale. On dirait que les parents écrivent chacun de leur message les sourcils froncés, sauf quand ils pensent à l’agrémenter de leur bitmoji. Et plus ils tapent à un doigt sur leur mobile, plus ils creusent un fossé saillant avec les jeunes générations.

À l’inverse, nos grands-parents tiennent absolument à conserver la musicalité de nos conversations orales… grâce aux points de suspension. Si, de nos jours, tout va trop vite, ils prennent soin de ne pas se précipiter, en laissant un temps de respiration entre chacun de leurs mots, quitte à en faire un peu trop.

Sur cette même publication, on voit un combat de boomers prendre place. Il y a ceux qui s’offusquent de voir la Gen Z réagir à un point, ou plusieurs. Et, il y a les autres, ceux qui sont conscients que, non, les 20/20 en dictée n’offrent pas d’immunité aux boomers. Et de toute façon, ils n’ont pas forgé la culture internet. On leur a gentiment donné les accès, sans s’imaginer que leur règne Facebook ferait pousser bien des ailes.

Autant vous dire qu’il vaut mieux rester tolérant sur les usages de chacun, et ne pas lancer le sujet dans son groupe WhatsApp de famille. Cette expérience parallèle offre un florilège de masterclass auxquelles on a fini par s’habituer. À défaut de leur faire remarquer, on en rigole entre nous, sur X, à la table des enfants.

Nuance chez les Digital Natives

La Gen Z et les Millenials, ou plutôt les Zillenials, ont réussi à se mettre d’accord pour rire des habitudes des boomers, et ce, parce qu’ils possèdent un lieu commun : Internet. C’est là-bas qu’ils ont pu se concocter leur jardin secret, exempt de normes, où remodeler leur personnalité. Depuis, ils affirment même leur ton à l’oral grâce à l’affrication.

« À l’adolescence, la langue est aussi une façon de s’affirmer, de ressembler à son groupe social et de se différencier des parents », Mary Catherine Lavissière, linguiste et professeure à l’université de Nantes

Et si, loin des adoptés du web, ils partagent le même terrain de jeu, ils connaissent aussi leurs points de divergence. La Pause Millenial n’a pas été la seule à faire parler d’elle.

Et pourtant, les innovations digitales, ça les connaît. Avec les forfaits à 20 SMS par mois, les Millenials savent trouver les plus belles fautes d’orthographe pour ne pas dépasser les 160 caractères réglementaires. Heureusement, ils n’ont pas gardé ces bonnes habitudes sur leurs smartphones.

Si la plupart respectent encore la ponctuation, la Gen Z n’en a que faire. On évite les virgules, on rigole devant les points de suspension des grands-parents, et surtout, on s’inquiète devant les points finaux. Surtout lorsqu’il s’agit d’un “Ok”, c’est clairement une revendication sous-entendue. Pas très subtile, vous nous direz, mais ce symbole passif-agressif en a traumatisé plus d’un.

La réalité est là : au sein même de la Gen Z, il n’y a pas une seule règle qui ne se contredit pas.

Pendant que certains continuent d’appliquer les règles apprises au tableau (sans pour autant délaisser les fautes d’orthographe), chez d’autres, une virgule peut déclencher une avalanche de vannes.

On en parlait déjà dans notre article sur la fracture générationnelle au travail, la réalité des générations possède bien plus de nuances que le marketing essaye de nous faire croire.

Une dynamique de cool kid

Si la frontière est bien trop floue pour prétendre affirmer quels éléments de ponctuation séparent la Gen Z de sa grande sœur Millenial, elle semble en dire finalement bien plus sur notre personnalité que sur notre génération.

En clair, ne pas mettre de ponctuation ou en utiliser à outrance, supprimer la majuscule de son clavier ou la rendre automatique : ça dit quelque chose de la manière dont nous aimerions nous montrer. Parce que, naturellement, chaque schéma de ponctuation possède ses idées, et associe ses utilisateurs à des opinions, plus ou moins clichés.

Au même titre que votre feed, on vous juge sur votre identité verbale en ligne. Il met des émojis alors que vous tenez profondément à votre image ponctuée de “ahah” ? Red flag.

Ainsi, cette façon très personnelle de percevoir et de retranscrire les nuances du discours oral est devenue une affaire de communautés.

Internet, c’est un peu la cantine des universités Américaines. Chaque communauté possède sa table, et il n’est pas question de se mélanger :

  • Les geeks ne jurent que par leur clavier avec des ^^, des 🙂 et les ancestrales xD
  • Les Twittos woke ont intégré l’écriture inclusive à leur dictionnaire bilingue
  • Les internautes de premier rang ne rient qu’en “ahah”, sans jamais délaisser leur élément de ponctuation préféré : les points-virgules.
  • Les jeunes boomers utilisent autant, voire plus, d’émojis que nos parents🤣
  • Et les plus redoutés, ceux qui ne tapent plus sur leur clavier, sont trop occupés à enregistrer leurs messages vocaux de plus de trois minutes trente (Messenger, on vous déteste pour les vocaux illimités.)

Et, les cool kids du moment, il paraît que ce sont ceux qui désactivent la majuscule de leur clavier.

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Évidemment, on se juge plus ou moins discrètement, parce que chacun de ces éléments de langage vient avec son lot de clichés. Celui qui va mettre trop d’émojis aura l’air trop niais, celui qui écrit en majuscules aura l’air de crier, et on ne vous parle pas de celui qui abuse des points d’exclamation… En bref, on ne sait plus comment témoigner de son enthousiasme.

Or, on vous doit la vérité : notre identité Internet, ce n’est pas totalement nous non plus.

Cette façon de coller à une communauté en ligne, serait-elle un simple moyen d’intégration ou un vœu d’émancipation que nous n’oserions pas formuler dans notre voix orale ?

“[…] le ton est une démonstration de gentillesse ou de sérieux. Il s’agit de faire correspondre la structure des phrases aux normes de genre, aux normes de l’industrie, aux normes du lieu de travail et aux normes générationnelles. Il s’agit de changer de normes des dizaines, voire des centaines de fois par jour, lorsque l’on passe d’un SMS à un mail, d’un chat de groupe à un message d’équipe Teams. Et nous effectuons ce travail sur la tonalité de manière exponentielle, plus que jamais auparavant.”, Anne Helen Petersen, auteur de la newsletter Culture Study

Que l’on soit un fervent défenseur du franglais ou un adepte du xD, ces éléments de langage ne peuvent s’adapter à toutes les situations. Sur X, peut-être, mais dès qu’il s’agit de s’exprimer sur Slack ou sur le groupe WhatsApp de famille, il est nécessaire de garder une certaine neutralité. Même en date, exposer son identité verbale, c’est prendre le risque de se faire catégoriser (et unmatched, donc).

S’exprimer sur les réseaux, ça demande une vraie gymnastique mentale. Si vous ne le faites pas, grand bien vous fasse : vous êtes sûrement un boomer né.

PS : à ceux qui mettent des mois à répondre aux messages, vous ne méritez pas plus qu’un Ok.