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Moins Instagram veut de politique, plus on en fait

Temps de lecture : 4 minutes

17/05/2024

Si vous êtes sur Instagram, vous avez peut-être reçu une invitation à faire un choix : voulez-vous, ou non, continuer de voir du contenu “politique” dans vos recommandations ? Pour d’autres, le changement s’est même fait automatiquement. Mais alors, à l’heure où les débats sont omniprésents sur les réseaux sociaux et où l’injonction à la prise de position s’intensifie, est-ce la meilleure solution ?

avatar de Peter Rechou

Brand Strategist. La voix de quelques podcasts et le cœur brisé régulièrement par le Paris Saint-Germain.

Peter Rechou

Instagram et sa large définition du “contenu politique”

Comme on le citait dans notre précédent article, un Français sur deux pense que *“les réseaux sociaux sont une menace pour le bon fonctionnement de la démocratie”**.

Alors Meta a-t-il voulu répondre à cette inquiétude ?

Depuis quelques semaines, Meta a mis à jour ses règles de diffusion. L’argument principal ? “Nous voulons qu’Instagram et Threads offrent une expérience agréable à tout le monde.”

Concrètement, la volonté affichée par le groupe de Mark Zuckerberg est de ne “plus recommander de manière proactive des contenus politiques”. Attention tout de même, une forte nuance est ajoutée : cela ne concerne que les comptes que vous ne suivez pas.

Pour résumer, il nous est donc demandé, à l’aide d’un simple réglage de paramètres d’application, de faire le choix — ou non — d’une conscientisation de l’actualité par Instagram. En quelque sorte, de choisir si l’on veut utiliser Instagram comme un lieu de loisir, ou aussi comme un média. Ou au moins un médium.

Si ce besoin de couper de l’actualité très souvent anxiogène peut tout à fait se comprendre, l’inquiétude ici est davantage liée à la définition de ce qui est politique pour Instagram.

Comme s’en inquiète le compte “engagé” @vivremoinscons, qui fait de la vulgarisation de l’actualité sur les réseaux sociaux, le problème pointé est que le réseau social inclut dans cette disposition “les sujets de natures sociales qui affectent un groupe de personnes et/ou la société dans son ensemble”. Ce qui compose, en somme, la quasi-totalité des sujets d’actualité.

View post on Instagram
 

Dans l’une de ses dernières newsletters, la journaliste Lucie Ronfaut dit que “Les plateformes sur lesquelles nous évoluons ne sont pas adaptées, par nature, à gérer les mauvaises nouvelles, encore plus dans notre ère de fils de recommandation algorithmique.” Elle revient alors sur la question du fameux choix de ce que nous acceptons, ou non, de voir : “On a le choix entre se noyer dans un torrent d’images insupportables ou alterner entre des publications innocentes et celles témoignant des violences en cours.

Les utilisateurs : les plus grands censeurs ?

Visiblement, il n’y a pas qu’Instagram qui veut invisibiliser des comptes.

Tout (re)commence au Met Gala 2024, le 06 mai dernier. L’influenceuse Haley Kalil publie une vidéo (supprimée depuis) où elle prononce en playback, vêtue d’une robe d’apparat, la phrase “let them eat cake”.

L’expression en question fait référence à une (fausse) anecdote historique. Bien que les historiens n’aient trouvé aucune trace prouvant sa véracité, cette rumeur est néanmoins connue de beaucoup : alors qu’on lui rapportait que le peuple mourrait de faim, n’ayant même plus de pain, Marie-Antoinette aurait répondu “qu’ils mangent de la brioche”.

Ironie de l’histoire, comme l’était la phrase — pourtant fausse —  de la reine guillotinée, sa reprise par une influenceuse est donc à nouveau symbolique : les internautes y voient un symbole de la déconnexion de la réalité et l’inconscience de leur situation privilégiée des influenceurs.

Dans les heures qui suivent, le scandale a même pris des allures de mouvement, avec l’émergence du hashtag #blockout2024.

“J’ai créé un Google Doc de toutes les célébrités qui ont assisté au Met Gala, et je suis en train de le parcourir et d’écrire si elles sont restées silencieuses ou si elles ont utilisé leur plateforme pour parler du génocide à Gaza.” @silentcelebs8 (utilisateur TikTok)

Pour certains utilisateurs, cette déconnexion des influenceurs pour la réalité se refléterait dans leur silence… à propos du conflit israélo-palestinien.

Depuis l’attaque d’Israël menée par le Hamas le 07 octobre 2023 et la riposte sanglante de l’État hébreux sur Gaza, ça n’a échappé à personne que le débat médiatique est de plus en plus violent.

*#*blockout2024 est donc un mouvement qui incite à bloquer les influenceurs silencieux sur le conflit. Dans un article qui évoquait justement les raisons qui poussaient les célébrités à s’exprimer ou se raviser sur un sujet, on revenait sur la notion de “militantisme performatif” : “le fait d’afficher très visiblement un soutien à une cause sans nécessairement agir concrètement dans le même sens, généralement dans le but d’améliorer son image”.

En outre, si on est davantage habitué à ce qu’une personnalité soit critiquée pour une prise de position, on assiste désormais au phénomène inverse. Comme si rester silencieux était synonyme d’acquiescement, ou même de complicité.

Dans sa newsletter que nous citions plus tôt, Lucie Ronfaut pose la question de ce que l’on attend, finalement, des célébrités : “On peut aussi se demander ce qu’on attend, exactement, des célébrités, paraboles contradictoires de nos envies et de nos angoisses. Un post Instagram de Taylor Swift pour appeler à un cessez-le-feu à Gaza nous satisferait-il vraiment ? Quand accepte-t-on d’être diverti·es, quand est-ce que cela devient-il insupportable ?”.

Faites du bruit !!

Résumons : quand Instagram veut moins de politique pour devenir une “expérience agréable”, les utilisateurs veulent des réseaux-sociaux au plus proche de leurs engagements.

Peut-être pouvons-nous expliquer cette apparente différente façon de concevoir nos feeds par la fameuse “majorité silencieuse”. Autrement dit, par la minorité bruyante.

C’est notamment ce qu’explique Medhi Moussaïd, chercheur en sciences cognitives à l’institut Max-Planck de développement humain, alias “Fouloscopie” , dans sa vidéo “la majorité a-t-elle toujours raison ?”.

En effet, la parole militante ou engagée trouve une résonance particulière, notamment à l’heure des partages et des likes. Surtout parce qu’elle est articulée pour, ayant directement vocation à convaincre ou informer.

Et tout ça est décuplé par le phénomène de “bulles” sur les réseaux sociaux : les algorithmes nous montrent ce que l’on veut voir.

La politique (au sens le plus courant, cette fois-ci) est l’un des meilleurs exemples de ce phénomène : jusqu’ici, il y avait souvent des différences entre les gagnants des élections et les candidats ou partis les plus populaires sur les réseaux sociaux.

Concrètement, il est fort probable que vous n’ayez jamais vu apparaître les injonctions à la prise de position des influenceurs ou le mouvement #blockout2024 sur vos feeds.

Ou, au contraire, vous pouvez avoir l’impression que c’est un phénomène d’une ampleur gigantesque.

Bien que vous puissiez choisir de continuer à voir les contenus “politiques”, ces changements de paramètres d’Instagram nous rappellent que nous ne sommes pas complètement libres de ce que nous voyons sur nos feeds. En tout cas, que nous pouvons être influencés de différentes manières… donc pas que par les influenceurs (même les plus silencieux).

*étude du Think-tank “Destin Commun”, mai 2024