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On a vu “Culte”, la série sur “Loft Story”

Temps de lecture : 7 minutes

21/10/2024

29 avril 2001. Ce jour-là, la télévision bascule dans une autre dimension. Avec elle, la société et ses débats peut-être aussi.

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Brand Strategist. La voix de quelques podcasts et le cœur brisé régulièrement par le Paris Saint-Germain.

Peter Rechou

29 avril 2001. Ce jour-là, la télévision bascule dans une autre dimension. Avec elle, la société et ses débats peut-être aussi.

Nous sommes toujours dans le monde d’avant : les Tours Jumelles sont encore debout, l’euro n’est pas encore déployé, Wikipedia vient à peine d’ouvrir. Dido, Janet Jackson, Craig David et Ève Angeli sont dans le top 10 des tubes les plus écoutés. Pourtant, en ce début de printemps, les prémices d’un autre monde commencent à se dessiner. Peu après minuit, Loana et Jean-Edouard, deux candidats de Loft Story, ont un rapport sexuel dans la piscine, en direct à la télévision.

C’est sur cette scène, vue depuis l’intérieur de la production, que s’ouvre Culte, la mini-série Prime Video (6 épisodes) qui revient sur les coulisses de la première émission de télé-réalité en France.

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Un thriller médiatique

“Il faut changer l’eau de la piscine”, s’exclame Isabelle de Rochechouart, interprétée par Anaïde Rozam, qui assiste à la scène depuis la régie de l’émission. La réplique est vraie, et empruntée à celle dont elle prend incroyablement les traits : Alexia Laroche-Joubert, alors jeune cheffe de projet dans la boîte de production de l’émission, actuelle CEO de Banijay France (TPMP, N’oubliez pas les paroles, Koh-Lanta, Les Marseillais,…) et productrice de la Star Academy de 2001 à 2008.

Pour préparer son rôle, Anaïde Rozam a écouté des heures d’interviews d’Alexia Laroche-Joubert, réussissant à reproduire son phrasé si particulier, et a fait beaucoup de sport pour adopter sa démarche droite et assurée. Il faut dire que la série, créée par Matthieu Rumani et Nicolas Slomka (Family Business), produite par Alexia Laroche-Joubert elle-même, dépeint une jeune femme sûre d’elle, qui doit lutter au sein d’un monde concurrentiel et plutôt masculin.

“Ça raconte les histoires d’outsiders finalement. Ça raconte l’histoire d’une jeune génération de producteurs qui va renverser les vieux producteurs des années 1980 bien installés, d’une jeune femme qui aurait peut-être dû finir gogo-danseuse et qui va devenir une icône, d’une femme productrice qui rentre dans un métier d’homme, d’une petite chaîne qui va damer le pion à TF1. ” Alexia Laroche-Joubert, sur le plateau de C à vous

Si Culte rappelle les débats qui ont enflammé la société à l’époque du lancement de Loft Story, elle raconte aussi les combats en coulisse. Ceux de la guerre menée entre TF1 et M6, mais aussi au sein de “Philippe Palazzo Productions”, société fictive qui reprend les traits d’Endemol.

Alors au bord de la faillite, la petite boite de production veut tenter le tout pour le tout en rachetant les droits de Big Brother, une émission diffusée aux Pays-Bas qui s’inspire du roman 1984 de George Orwell, enfermant une dizaine de personnes dans une maison coupée de tout, filmée 24h/24. Jusqu’au bout, les producteurs devront négocier avec le patron de M6, Nicolas de Tavernost, ou Christian de Chaunac dans la série, qui doute de son choix de mettre l’émission à l’antenne. Dans la série, on a affaire à un homme qui change d’avis au gré de ses humeurs, tiraillé entre un débat moral sur le concept même du Loft et sur l’envie de peser face à Michel Drezen, son rival de TF1, en réalité Patrick Le Lay. À l’époque, la sixième chaîne est même surnommée “la petite chaîne qui monte”. Dans la vraie vie, Nicolas de Tavernost parlera de cette période comme d’“un cauchemar”, alors qu’il quitte la présidence du directoire du groupe M6 en avril 2024.

Trahisons, fausses promesses, mains tendues,… Culte montre comment la guerre fait rage entre les deux chaînes, entre revirements de situations, signalements au CSA et règlements de compte. En mai 2001, Patrick Le Lay, PDG de TF1, ira même jusqu’à prendre la parole dans Le Monde en accusant son concurrent d’avoir trahi un accord entre “les deux grands réseaux de télévision privée” qu’ils étaient, s’étant engagés à “faire obstacle à l’intrusion en France de la télé-poubelle”. Sauf qu’au même moment, TF1 prépare déjà l’arrivée d’un remake de l’émission Survivor : Koh Lanta. Trois mois après la finale du Loft, la première chaîne lancera également son propre programme de télé-réalité : Star Academy.

Le prototype de la télé-réalité

Dans son essai “Vivre pour les caméras : ce que la téléréalité a fait de nous”, la journaliste Constance Vilanova se demande si Loana est le prototype de la téléréalité. Il faut dire que le succès de Loft Story tient en partie sur ses épaules. La Niçoise, “blonde à forte poitrine”, est toujours aujourd’hui l’une des plus grandes stars du genre.

Si les téléspectateurs ont pu découvrir sa personnalité au fur et à mesure des émissions, on connaît désormais son passé douloureux et la violence qu’a eu le succès du Loft sur elle. Elle a d’ailleurs eu un droit de regard sur la série.

Dans Culte, le personnage de Loana est le plus fidèle à la réalité, peut-être le plus authentique. L’interprétation de Marie Colomb est presque troublante, tant elle empreinte les traits de la première gagnante du Loft. Elle reconnaît ayant ressenti une “responsabilité” en tenant le rôle.

La mini-série revient sur son parcours, de son casting à sa victoire. On y suit les scandales qui surviennent malgré elle, agitant encore plus les débats, alors qu’elle est encore enfermée dans ce loft de papier. La scène de la piscine, bien sûr, survenue trois jours après le début de la diffusion. Le succès y sera indéniablement lié. Mais surtout, et c’est sans aucun doute le plus grave, la révélation par la presse de sa maternité.

En effet, si la candidate avait déclaré — conformément au règlement de la production — ne pas être mère, fin mai, le journal France Dimanche titre l’inverse : “Loana, la star de Loft Story, le scandale de son enfant abandonné”. Quelques jours plus tard, Paris Match publiera une interview de la mère de Loana, ayant profité de sa détresse mentale et financière pour aller jusqu’à se procurer une photo de la candidate et de son bébé. En effet, quatre ans plus tôt, alors qu’elle n’avait que 19 ans, Loana est tombée enceinte. N’ayant découvert sa grossesse qu’au terme du quatrième mois, soit plus que le délai légal pour un IVG à l’époque, et n’ayant pas de ressources alors que le père refusait la paternité, la jeune femme avait été contrainte de laisser son enfant à la DDASS.

Le casting, c’est la France

“C’est juste une fille qui galère, et ça y a tout le monde qui peut s’identifier”, argue Karim, interprété par Sami Outalbali (”Sex Education”), journaliste pour l’émission. Il est vrai que le personnage d’Isabelle de Rochechouart donne le ton : “le casting, c’est la France”. Pour choisir les 11 candidats, l’équipe réfléchit à des personnages de sitcoms. La bourge fêtarde, l’intello sexy, la grande gueule… Loana sera finalement “la bimbo au grand cœur”.

Alors qu’il fait face aux membres du CSA suite aux nombreux signalements contre l’émission (souvent émis par TF1), Raphaël, mélange fictif de Arthur et Stéphane Courbit (les producteurs de l’époque) et interprété par César Domboy, leur rétorque : “Ce qui vous choque, c’est qu’on vous a montré une jeunesse qui ne vous ressemble pas”. Il est vrai qu’à l’époque, deux tiers des 15-25 ans suivent l’émission, alors que 94% l’ont déjà regardés.

Une opposition générationnelle, et même sociale, qui donne lieu à des débats virulents. Le siège de M6 à Neuilly-sur-Seine est même pris à partie par des militants, jetant poubelles et aliments sur les portes et fenêtres. C’est également cette opposition formelle que raconte Constance Vilanova dans son livre : “De mon côté, à la maison, le Loft, c’est prohibé. L’émission est un tel séisme sociétal que chacun doit se positionner et, pour mes parents, regarder, c’est cautionner”.

Sur les plateaux de télévision, artistes et invités sont contraints de donner leur avis sur l’émission. Certains politiques ayant fleuré l’intérêt de la jeunesse prennent la défense de l’émission, comme l’ancien président de l’Assemblée nationale, Philippe Séguin : “Pour départager Aziz et Jean-Édouard, il y a eu quatre millions de votants. Presque autant que pour le référendum sur le quinquennat”.

Si certains personnages sont peu ou pas développés, à l’instar de celui de Benjamin Castaldi, alors jeune présentateur de l’émission, beaucoup sont fictifs ou un mix de plusieurs personnes réelles. Pas grave : on sait que la narration, même d’une réalité, passe par des accroches émotionnelles. Culte raconte finalement les prémices d’une époque, et fait écho à des débats qui font encore parfois rages.


Culte, six épisodes, disponible sur Prime Video depuis le 18 octobre.

Photos : Copyright Fanta Kaba