Cher journal
Le 14 octobre, Jillian Lavin, une artiste encore peu connue, poste une vidéo TikTok annonçant sa rupture. Pas de simple déclaration, elle raconte tout en chanson, photos à l’appui : l’amour, les projets, le déménagement de Los Angeles au Texas pour lui… avant qu’il ne rompe avec une lettre, pour cause d’incompatibilité.
Les résultats de cette fenêtre sur son intimité sont inattendus : 30 millions de vues sur Instagram, 3,6 millions sur TikTok, et un nombre d’abonnés qui double. Spritely, sous son nom d’artiste, atteint une notoriété qu’elle n’avait jusque là jamais espérée avec son contenu habituel.
Et Jillian ne s’arrête pas là : elle partage désormais les étapes de sa guérison. Face à une audience enragée par la situation, le lien émotionnel est plus fort que jamais. Dans les commentaires, les comptes annoncent un par un refuser son ex-petit ami de leur pays.
Un peu comme on feuilletait Closer pour lire les dramas des célébrités, on scrolle désormais sur TikTok pour écouter les storytimes des anonymes. Le public s’investit dans les récits avant même de connaître la personne : une forme de storytelling inversé, où la vulnérabilité devient un outil puissant pour capter l’attention.
Nouvel échec pour une nouvelle vie
Ça fait déjà plusieurs années qu’on pleure sans complexes sur TikTok, et qu’on capitalise avec nos faiblesses sur LinkedIn. Quel que soit le support, on a toujours aimé parler de notre petit personne. Ça donne un peu de sens à notre vie, et nos échecs en renforcent la profondeur. Avec cette nouvelle version de l’extimité — un concept de Jacques Lacan qui désigne le fait d’exposer son intimité dans l’espace public — la quête de viralité atteint son paroxysme. Mais est-ce qu’on partage nos fragilités pour guérir ou pour buzzer ?
L’une des trends qui exemplifie le mieux ce tournant sensible, c’est le Museum of failure. Inspirée d’un musée hongroie, cette tendance de fond vise à célébrer nos échecs et nos insécurités. On se raconte une histoire pleine de resilience qui saura assurément inspirer les autres.
Pourtant, cet immense journal intime collectif n’est pas toujours un vecteur de guérison. Il sert parfois à captiver l’attention, que ce soit en racontant nos propres histoires ou celles des autres. On pense notamment à Mimiche, dont les aventures rocambolesques à l’aéroport ont captivé des milliers d’abonnés. Sa fille, qui a relaté l’histoire de la garde à vue aux confessions post-libération, a transformé une anecdote familiale en véritable saga virale. À tel point que Mimiche s’est lui-même lancé sur TikTok.
Qui dit viralité, dit monétisation accrue. Cette histoire en quatre actes, au-delà des quarante-huit heures de garde à vue, a surtout permis de payer les frais d’avocat.
Acte (para)social
Du côté de ceux qui regardent, ça fonctionne tout autant. S’il y a toujours des personnes qui se demandent pourquoi on se filme en pleurant sur TikTok, d’autres ne peuvent s’empêcher d’y voir un intérêt. D’abord, il y a la curiosité qui entre en jeu. Elle existe partout ; sur Internet, chez les voisins et même sur la route lorsqu’un accident créé des embouteillages. On aime connaître les malheurs des autres pour se rassurer de ne pas en vivre autant. Parce au-delà de l’empathie, c’est une expérience cathartique.
Sans même connaître la personne qui raconte ses péripéties, on est prêt à regarder une storytime de quatre minute — voire une série de 50 épisodes à la Who Tf Did I marry — pour en connaître tous les détails. En quelques sortes, leur vulnérabilité créé une connexion émotionnelle qui se rapproche des relations para-sociales qu’on entretien parfois avec des célébrités. Un inconnu devient alors, du jour au lendemain, aussi intéressant que les gossips du bureau. Mieux encore, on fini par parler de lui pendant les gossips du bureau, interrogeant le courage de Mimiche et acclamant la carrière de Spritely.
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