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Sur TikTok, la poésie n’est pas morte

Temps de lecture : 5 minutes

05/09/2024

Au milieu des trends et des vidéos bourrées de “cuts”, il existe des moments de respiration. Sur TikTok, la poésie semble ne pas être morte. Contre toute attente, cette plateforme si souvent associée à la furtivité et au sensationnalisme, devient un terrain de jeu pour les amoureux du beau et du lent. Bienvenue dans l’ère de la poésie scrollable, où la prose se pare de hashtags.

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Brand Strategist. La voix de quelques podcasts et le cœur brisé régulièrement par le Paris Saint-Germain.

Peter Rechou

“Spoken word”, la poésie en face cam

Il y a quelques mois, le format “spoken word” est apparu sur TikTok : les créateurs, à visage découvert, récitent un texte écrit par leur soin. Ne boudant pas les rimes et tournures littéraires, ils développent un thème, en accentuant l’émotion grâce à une musique mélancolique.

Le procédé est toujours le même. D’abord, une introduction commune à tous. “En français on dit”, ou à l’inverse “En français on ne dit pas…”, par exemple. Ensuite, l’énoncé du thème, résumé par une tournure courante du langage populaire, : “j’aurais aimé que toi et moi ça puisse marcher”, “j’ai eu une enfance compliquée, ou simplement “je t’aime”. À ça on ajoute une contradiction : “mais en poésie on dit”, suivie d’un texte sublimement raconté sur le sujet.

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Rendue alors accessible à tous, leur poésie n’en est pas moins légère. Au contraire, certains abordent de lourds sujets, comme la solitude, l’anxiété, les violences ou le deuil. 4 millions de vues par ci, 13K likes par là, les commentaires affluent. Preuve que la poésie ne dépend pas de son médium et qu’elle sait aussi toucher, en 2024, le cœur des tiktokeurs.

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Romantiser l’ordinaire, ou l'art du slow content

Comme nous l’expliquions dans un article de septembre 2023, ce phénomène empreint de romantisme dépasse les simples vidéos de poésie, rejoignant des tendances plus globales, telles que toute la trend “humancore” : un format de vidéos qui montre un quotidien romancé, filmé à travers une esthétique nostalgique. Une romantisation de l’ordinaire, où des gestes anodins sont sublimés. Ainsi, un couple prenant un café, une personne âgée qui traverse la route, la porte du métro qui se referme ou un ciel orangé deviennent les éléments centraux de vidéos aux millions de vues.

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Si certains peuvent y voir une uniformisation mielleuse des contenus, d’autres y voient une sorte de “révolution douce”, un contre-pied face à notre consommation des plateformes. Ces vidéos invitent à ralentir et contempler. L’instantanéité n’est alors plus tellement un gage de qualité, même si la question de l’authenticité peut se poser. Et si, paradoxalement, ces vidéos postées contre un quotidien saturé d’images et de sons, le sont sur les mêmes plateformes, elles n’en restent pas moins des bouffées d’air frais dans un feed aux allures de stroboscope.

TikTok, l’oxymore poétique

Ironiquement, c’est sur TikTok que ce “mouvement” poétique a pris vie. Finalement, on aurait presque affaire à un oxymore.

La plateforme, souvent perçue comme le symbole de l’instantané, du contenu éphémère, devient le lieu d’expression de ceux qui cherchent à ralentir le pas.

Il faut dire que les adeptes de ces “spoken word” et autres “humancore” ne renient pas les codes du réseau social. Au contraire, ils en jouent, les détournent. Si les images sont plus lentes, le montage ne laisse pas les yeux sans rien voir. On remplace souvent les gros “cuts” par un enchaînement de sous-titres où les mots se découvrent un par un, le ton ralenti nous laissant plus de temps pour les lire. Les émotions sont amplifiées par une musique de fond, les hashtags sont présents pour atteindre le bon public.

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Bien sûr, TikTok n’a rien inventé de ce format : Edouard Baer, entre autres, le faisait déjà à la matinale de Nova entre 2016 et 2018. D’autres le font à la télévision, comme Saphia Wesphael, puis publient désormais des extraits sur TikTok. Enfin, d’autres encore reprennent d’anciennes interviews à la prose fine et travaillée et l’adaptent au format “spoken words” en y rajoutant de la musique, comme le fameux “Merci pour les roses, merci pour les épines” de Jean d’Ormesson. La boucle est bouclée.

Quoi qu’il en soit, la poésie semble toujours trouver sa place et toucher les cœurs, même quand elle est scrollable. Même quand elle vit entre deux tendances virales.

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