Au pays de l’injonction
« Se réveiller seul dans une ville étrangère est l'une des. sensations les plus agréables au monde »
paraît-il. Et il semblerait que Freya Stark, voyageuse et exploratrice britannico-italienne, ne soit pas seule à le penser.
Parce que le voyage traîne au fond de toutes les têtes (ou presque).
C’est le projet d’une vie et le loisir numéro 1 sur tous les CV, car c’est bien connu, à l’autre bout du monde, on peut se redécouvrir soi-même. Loin du confort quotidien, on s’ouvre aux autres, on explore des cultures qui nous sont étrangères pour s’enrichir de l’intérieur. C’est une question d’état d’esprit, dirait la Gen Z.
Depuis 2020, et pour le plus grand plaisir du marché du voyage, ce phénomène s’est amplifié. Pour la Gen Z, la paralysie a assez duré. Alors place à l’ère de la liberté et direction l’autre bout du monde pour une semaine, quelques jours ou une durée indéterminée, peu importe, tant qu’on quitte nos terres de confinés. Certains théorisent même la tendance : le revenge travel.
Pour rattraper le temps perdu, et ce même au travail, nos modes de vies ont mutés. Après l’essor du (full) remote, on a accueilli le digital nomadisme sous un tonnerre d’applaudissements. En même temps, qui ne voudrait pas exercer son activité quotidienne sous le sunlight des tropiques ?
Mais attendez, comment on fait pour être sa propre maison déjà ? C’était pas l’expérience du voyage qui devait résoudre la quête de sens à l’origine ?
Le voyage, pas si cool ?
Alors oui, simplement changer ses habitudes pour se sentir profondément vivant à plusieurs milliers de kilomètres de chez soi, dit comme ça, ça vend du rêve.
On aurait presque envie de tout quitter pour écrire cette news au bord d'une plage à Bali. Or, rassurez-vous, changer de vie, ça n’a pas que du bon.
Stress, charge mentale, solitude… ça a comme un goût de la vie quotidienne, avec le billet d’avion en plus. Ah oui, parce que si la Gen Z a l’habitude d’être radicale, ici, sur la cause du climat, on est plutôt dans la nuance.
En bref, la quête de sens ne semble pas prête à se dérouler sans accrocs. (alors, on va peut-être rester là finalement).
Pourtant, on continue de rêver de destinations lointaines pour changer de vie. Comme si on pouvait partir avec nos problèmes plein les valises, et les déposer à la frontière en arrivant.
Pour aller mieux, on veut vivre l’aventure. Celle qu’on voit sur Instagram sous un filtre saturé. On veut voir et être vu, alors on partage tous le même levé de soleil à bord d’un van.
En backpack ou dans un cinq étoiles, on montre une réalité embellie. Au même titre que la santé mentale, le voyage participe à la romantisation de nos vies.
Mais la réalité, c’est aussi n’avoir personne à qui se raccrocher quand tout va mal, parce que ça n’ira pas toujours bien (même devant les 7 merveilles du monde, on vous l’assure).
C’est aller à l’autre bout du monde pour apprendre une nouvelle langue, et finalement se rapprocher d’autres français, parce que c’est rassurant d’aller vers ce qu’on connaît.
Au milieu de tout ça, Instagram continue de nous crier “Si tu ne voyages pas, tu as raté ta vie”. L’injonction au voyage s’est implantée dans nos esprits, comme si c’était fait pour tout le monde.
Et si la quête de sens pouvait aussi bien se passer depuis notre canapé ?
L’expérience, et puis c’est tout
Le canapé pourquoi pas, mais à condition qu’il nous fasse vivre “une aventure frissonnante” ou “une expérience unique”. Original, n’est ce pas ? Ce sont les nouvelles expressions favorites des marques… parce qu’en 2023, l’expérience est à l’honneur.
Note pour plus tard : il n’y a rien de moins unique que de prétendre vendre « une expérience unique ».
Or, s’il y a bien un marché qui propose véritablement une expérience unique et immersive, c’est celui du voyage. Quand on achète un billet d’avion, au delà de l’objet physique, c’est une représentation qui s’offre à nous.
On se projette, hors de notre (triste) quotidien, et Je est un autre, une nouvelle version de nous-même. C’est peut-être ça qui satisfait notre quête de sens, finalement ; vivre l’expérience humaine à son plus haut degré pour, peut-être, pouvoir toucher du bout des doigts le “bonheur”.
Mais pour beaucoup, ça ne passe plus seulement par les petites choses simples de la vie. Plus on souhaite vivre une expérience immersive, et plus on a le sens de l’inédit. On voudrait réaliser nos rêves les plus fous, pour se rappeler du voyage comme une aventure qui marque le climax de notre vie. Mais à quel prix ?
Une étude de YouGov (2022) a notamment révélé que 57% des interviewés accepteraient de payer plus pour des expériences « haut de gamme ». C’est là que le voyage a pris une nouvelle dimension, bien supérieure au Carpe Diem d’antan.
Quid de ceux qui n’adhèrent pas à ces codes ?
Nous stalker